CLERC Georgette

Née à Saillagouse (Pyrénées-Orientales) le 17 août 1912, morte à Perpignan (Pyrénées-Orientales) le 12 avril 1986. Secrétaire, militante communiste en région parisienne, dans l'Yonne, le Loiret, les Pyrénées-Orientales. Secrétaire d'André Marty en Espagne. Résistante dans le Loiret. Mariée deux fois, mère de deux filles et d'un fils.

Antoine Clerc (né en 1881), père de Georgette, était natif de Saillagouse (Voir Cayrol Antoine), greffier de la justice de paix de Saillagouse, puis négociant et minotier à Err, village proche de Saillagouse. Les Clerc, établis à Saillagouse dans le dernier quart du XIXe siècle, étaient originaires de Fontpédrouse (Pyrénées-Orientales) en Confient : ce village était la patrie du père d'André Marty*. Cette origine commune que G. Clerc partagea avec le mutin de la mer Noire décida en partie de son destin. Sa mère, Jeanne Fortuné (23 ans en 1912), était originaire de Cerbère (Pyrénées-Orientales), port de la Côte Vermeille frontalier de l'Espagne. Elle se suicida en 1918, alors qu'elle était enceinte, son mari étant soldat au front. Cet événement marqua profondément sa fille.
Si G. Clerc vécut ensuite avec son père, remarié dès 1920, elle faisait cependant de longs séjours à Saillagouse chez les parents de son cousin germain, Antoine Cayrol*, y compris lorsqu'elle dut suivre son père dans la région parisienne. Celui-ci, après avoir fait de mauvaises affaires à Err, s'établit d'abord à Perpignan où il fit une faillite retentissante dans l'immobilier qui le conduisit ensuite à s'installer dans la région parisienne à Aubervilliers (Seine) où il ouvrit un café. Georgette Clerc, pensionnaire à Perpignan, suivit des études secondaires au collège de filles jusqu'à la classe de seconde. Elle dut malheureusement les interrompre du fait des déboires professionnels de son père dont elle hérita cependant le goût de la lecture. Elle put acquérir une vaste culture littéraire et sut transmettre ce goût de l'écrit à son cousin germain.
Selon les opinions concordantes de sa fille Renée Olive (interviews) et de son cousin Antoine Cayrol (livre autobiographique, interviews), Georgette Clerc avait une « forte personnalité », un caractère « instable », « imprévisible » et « volcanique » que saura tempérer la personnalité de son second mari, René Landais*, « calme » et « pondéré » (tous deux, cependant, furent mus par des convictions aussi profondes qu'enthousiastes).
Adolescente, elle s'opposa au cynisme affairiste de son père. À Aubervilliers, cette opposition prit bientôt un aspect politique. Elle sympathisa avec les ouvriers communistes qui fréquentaient le café de son père. Sa vie personnelle l'amena pourtant à faire siennes, un moment, les idées libertaires.
Elle se maria une première fois à Saillagouse le 8 novembre 1931 avec Augustin, Martin Cot, de nationalité espagnole, né le 31 juillet 1911 à Puigcerdà (province de Gérone), localité de la Cerdagne espagnole située à 10 km de son village natal.
Son premier mari était fils de Joseph Cot et de Françoise Olive de Puigcerdà. La famille Cot était propriétaire d'une grande épicerie, « la Confianza » située tout près de la frontière, à proximité de la douane espagnole. Augustin Cot, lorsqu'il connut Georgette Clerc, était adhérent de la CNT, anarcho-syndicaliste, sans doute affilié à la FA1. Il participa aux événements révolutionnaires de l'été 1936 et s'exila ensuite en Amérique du Sud puis en Allemagne. Entre temps, après son mariage avec Georgette Clerc, il était allé faire son service militaire en Espagne. Son épouse le suivit, à Ceuta, sa ville de garnison. Ensuite, après avoir vécu à Madrid, le couple s'établit à Cerbère, le village de sa mère dont elle avait hérité une maison. Tous deux tinrent une épicerie mais le couple se disloqua bientôt -le divorce fut prononcé par un jugement du tribunal civil de Céret (Pyrénées-Orientales) du 26 juillet 1935-après la naissance (1935), en Espagne, d'une fille, Aurore Geneviève (Ginette) Cot. Celle-ci, après la guerre, devint journaliste : adhérente des JC puis du PCF, elle travailla d'abord pour la presse communiste et « Chants du Monde » avant de participer à la rédaction à?Afrique Asie, et, après la disparition de ce journal, elle fut pigiste pour divers organes de presse. Ginette Cot devint une spécialiste reconnue de l'Afrique, utilisant parfois plusieurs pseudonymes dont celui d'Aurore Clerc.
Après cette rupture, Georgette revint auprès de son père à Aubervilliers. Elle renoua avec ses sympathies communistes et ayant donné son adhésion au parti à Paris, elle milita avec ardeur.
Entrée en Espagne républicaine dès 1936, elle exerça des fonctions de secrétariat à Valence et, bientôt, fut appelée à la base des Brigades internationales à Albacete. Cette affectation n'avait rien de fortuit : André Marty avait remarqué (avant son départ ou après son arrivée à Albacete ?) que non seulement cette militante, jeune et fougueuse, belle et intelligente de surcroît, était communiste et catalane, mais encore que la famille de son père était issue, comme celle de son père, de Fontpédrouse. À Albacete, elle fit la connaissance d'un Parisien, volontaire des BI, René Landais* avec qui elle sympathisa bientôt -tous deux partageaient la même passion pour la litttérature- et qui deviendra son second mari. Adèle Arranz dont le témoignage est cité par Rémi Skoutelsky, laisse penser que, dès Albacete, Georgette Clerc vivait maritalement avec René Landais. En avril 1938, elle fut parmi les derniers occupants de la base des BI qui évacuèrent la ville avant que la zone républicaine ne fût coupée en deux par les armées de Franco. D'Albacete, vers la Catalogne, elle voyagea dans une camionnette bibliothèque avec René Landais. Elle résida ensuite à Barcelone, elle fut dactylo auprès du CC du PCE et travailla pour l'agence de presse de ce parti. Toujours en contact avec André Marty, elle eut avec lui des rapports orageux : dès 1939, elle ne fit pas à sa famille de Saillagouse un portrait flatteur du mutin de la mer Noire. Elle crut bon, cependant, devoir réfuter (comme plus tard René Landais dans son autobiographie) la légende noire du «boucher d'Albacete ». Si elle approuva les conclusions de son «procès» en 1952, ultérieurement, elle regretta, avec son mari, d'avoir eu cette attitude.
Au début de 1939, Georgette Clerc et René Landais vécurent à Paris où ils étaient employés par le Comité de coordination de l'aide aux réfugiés espagnols. Entre temps, elle eut l'occasion, avec son compagnon, de revenir dans les Pyrénées et renoua avec la famille de Saillagouse. En mai 1939, à la demande du parti, le couple alla s'installer dans l'Yonne où René Landais trouva un emploi dans une petite entreprise. Tous deux y furent surpris par le pacte germano-soviétique et la dissolution du PC. René Landais étant mobilisé, il épousa Georgette, à Auxerre, le 23 avril 1940, à l'occasion d'une permission. Leur fille, Renée, y était née le 8 janvier 1940 : plus tard, PEGC à Thuir (Pyrénées-Orientales), celle-ci épousa René Olive, également PEGC, militant socialiste et syndicaliste, qui devint maire et conseiller général de Thuir, mandats qu'il exerce toujours (2006).
La défaite surprit Georgette et sa famille. Elle quitta précipitamment Auxerre et vint, avec ses deux filles, à Saillagouse chez ses oncles (la famille Cayrol), son mari étant retenu en captivité en Allemagne. Elle obtint ensuite un emploi de garde-barrière sur la ligne de Villefranche-de-Conflent à Latour-de-Carol, au passage à niveau du mas Rondola (commune de Saillagouse). Son cousin Antoine Cayrol (Jordi Père Cerdà). qui subit alors son influence, pense qu'elle était toujours en contact avec la direction clandestine du parti qui lui demanda, au début de 1943, de s'installer à Orléans (Loiret). Elle revint ponctuellement à Saillagouse en 1943, apportant à son cousin Antoine Cayrol et aux communistes de Cerdagne (qui « travaillaient », avec Josep Mas* -qu'elle compara alors, non sans arrière-pensée, à Tchapaiev-, dans les réseaux de passage clandestin vers l'Espagne, la France Libre et l'Afrique du Nord) la consigne donnée par le CC clandestin du PCF : qu'il fallait que les Français restent en France et s’abstiennent re renforcer la France libre, les giraudistes ou les gaullistes.
À Orléans, elle abrita à son domicile (elle déménagea plusieurs fois) une imprimerie clandestine du parti. Avec une machine à écrire et une ronéo, elle éditait des tracts et des journaux clandestins, en particulier ceux du Front national et en assurait le transport chez des dépositaires. Agent de liaison, elle effectuait des allers-retours à bicyclette entre Orléans et Paris. Elle cacha des militants fugitifs. Dans le même temps, elle s'occupait de ses deux filles. Pour son activité clandestine, Georgette Clerc fut décorée de médaille nationale de la Résistance. À la Libération, le PCF lui procura un emploi à la préfecture du Loiret.
Lorsque son mari René Landais revint de captivité en mai 1945, le couple vint s'installer à Saillagouse. Ils quittèrent la Cerdagne après que René eut été licencié du chantier du barrage hydroélectrique des Bouillouses. Par la suite, ils vécurent à Ria, Catllar (où naquit en février 1947 leur fils Pierre, Antoine) et Eus, localités du Confient. Georgette suivait son mari qui, du fait de son militantisme syndical, n'arrivait pas à se stabiliser dans un emploi. La famille s'installa un moment à Rivesaltes où René fonda et assura la direction du CFPA du bâtiment mais revint à Eus où le couple acquit une maison. Mais, licencié à la suite d'une grève, il fut souvent au chômage avant de trouver un emploi de comptable chez Jaulent, épicier en gros à Perpignan qui permit de stabiliser la famille et de la fixer dans cette ville après qu'elle eut résidé à Canet-Plage. Entre temps, toujours à Eus, Georgette dut, un temps, se résoudre à faire du colportage de vêtements sur les marchés et à domicile. Tout en assurant l'entretien du ménage, elle poursuivit ses activités militantes avec abnégation, faisant preuve d'un activisme toujours aussi débridé. Elle fit plusieurs « petits boulots ». Dans les années 1950, elle fut un moment dactylo au Travailleur Catalan, l'hebdomadaire départemental du PCF, pour lequel elle rédigeait à l'occasion quelques articles.
Elle quitta le parti après l'invasion de la Tchécoslovaquie par les troupes de pacte de Varsovie (août 1968), en même temps que son mari. Cette rupture, préparée par une longue réflexion antérieure qu'elle partagea avec son mari fut vécue comme drame. Mais si René Landais mit un temps ses espoirs dans l'extrême gauche, Georgette fut bientôt rongée par l'amertume. Après le départ en retraite de René (1970), le couple vécut d'abord à Eus, en Confient, dans la maison qu'ils avaient achetée puis restaurée. Ils la vendirent pour s'installer en Dordogne, à Lescurat. Mais après s'être séparés ils vendirent le bien qu'ils avaient acquis dans ce département.
Si la séparation de corps avec René Landais fut prononcée par décision du tribunal de Périgueux (Dordogne) du 13 décembre 1977, elle maintint toutefois des relations, épistolaires notamment, avec lui. Ces lettres font état de leurs désillusions. D'après sa fille Renée, Georgette Clerc était désenchantée en, prenant conscience de ce qu'était l'univers du « socialisme réel », à mille lieues de ce en quoi elle et son mari avaient cru et de l'inutilité des sacrifices qu'elle avait consentis. Dépressive, ayant perdu goût dans la vie, elle se suicida, peut-être aussi inspirée par l'exemple de sa mère. Après avoir quitté la Dordogne, elle était revenue s'établir à Perpignan.
Avec René Landais, elle adhérait à l'AVER. Mais tous deux avaient ensuite pris leurs distances avec cette association et ne renouvelèrent pas leur adhésion.

SOURCES :

-Archives communales de Saillagouse, état civil. -Archives André Baient, tapuscrit : autobiographie de René Landais, mari de Georgette Clerc, s.d. [1978]. -Archives privées, Renée Olive née Landais. -André BALENT, « Antoine Cayrol et André Marty, engagement communiste et identité catalane 1939-1956», Actes del colloqui Jordi Père Cerdà : literatura, societat, frontera Actes du colloque Jordi Père Cerdà : littérature, société, frontière. Osseja-Llivia, 28-30 septembre 2001 (organisé par l'Université de Perpignan), Perpignan - Barcelone, Presses universitaires de Perpignan, Publicacions de l'Abadia de Montserrat, 2004, pp. 329-346. -André BALENT, « Del Ripollès a la Cerdanya, guerres i revolució : Josep Mas i Tió (1897-1946), militant i guerriller», Annals 2003-2004, Centre d'estudis comarcals del Ripollès, Ripoll, 2005, pp. 81-98, 98a à 98f [p. 88, p. 98a, note 15]. -Jordi Père CERDÀ [Antoine Cayrol], Cant ait, autobiografia literària, Barcelone, Curial edicions catalanes, 1987, 307 p. [p. 47, p. 58]. -Rémy SKOUTELSKY, L'espoir guidait leurs pas. Les volontaires français dans les Brigades internationales, 1936-1939, Paris, Grasset, 1998, pp. 165-166. - Entretien avec Mme Renée Olive, fille de Georgette Clerc et de René Landais, Thuir, 11 septembre 2001 ; conversations téléphoniques, 12 juillet 2006, 4 août 2006. -Entretiens avec Antoine Cayrol (Jordi Père Cerdà), Saillagouse, 1er septembre 2001, 12 juillet 2004 ; nombreuses conversations informelles.

André BALENT